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Dans une interview exclusive pour The Insider l’ancien co-dirigeant du groupe de prêt à porter Sandro, Maje et Claudie Pierlot (SMCP), nous partage sa nouvelle passion pour l’hôtellerie. Un échange inspirant dans lequel il suggère, notamment, d’insuffler toujours plus d’émotion dans le monde hôtelier pour conquérir une nouvelle génération de clients et d’employés.

 

 

« Comment les marques de luxe peuvent-elles donner un caractère authentique à leurs produits ? La réponse n’est pas une affaire de marketing, mais d’authenticité. Le marketing est l’ennemi des marques de luxe. »

Frédéric Biousse pense que le secteur du luxe est en train de changer profondément, et que ce changement aura des conséquences sur les marques qui ont construit leur légitimité sur ce qu’il appelle « une pure fantaisie marketing ».

« Les marques qui s’imposeront sont celles qui sauront raconter une vraie histoire, une histoire locale, à laquelle les gens pourront s’identifier. Ce n’est pas une question d’argent, de reconnaissance ou de codes vus sur les médias sociaux ; ce qui compte, c’est de donner du sens à ce que l’on achète, ce que l’on mange, ce que l’on porte, et aux endroits où l’on voyage. Donner un sens à nos vies, ainsi qu’à celles de nos proches et de nos enfants », explique-t-il.

Selon Frédéric, la pandémie a accéléré cette tendance, qui met en avant la qualité du produit, sa provenance et le savoir-faire nécessaire à sa fabrication. L’histoire qui accompagne le produit lui donne un sens ; ainsi, les clients s’identifieront à lui et seront fiers de le posséder, même s’il coûte cher. Pour lui, la marque Hermès illustre parfaitement cette tendance.

Frédéric voit le secteur se rassembler autour d’une tendance opposée : la montée en puissance du « luxe tapageur », dans lequel une marque ou un produit spécifique est mis en avant sur le marché de masse par des influenceurs internationaux (par exemple Kim Kardashian), au détriment de la véritable qualité des produits eux-mêmes.

« Les économies à faible revenu ou émergentes ont toujours eu tendance à privilégier les produits griffés pour pénétrer dans l’univers du luxe. Les médias sociaux ont fortement démocratisé ce phénomène. Aujourd’hui, les gens sont prêts à payer le prix fort pour une paire de sandales sans se soucier de leur qualité, pourvu qu’ils reproduisent les codes vus sur les médias sociaux », ajoute-t-il.

Le nouveau visage de l’hôtellerie

Frédéric voit une tendance parallèle émerger dans l’hôtellerie, où la définition du « luxe » évolue à mesure que les Millennials et la génération Z commencent à occuper une place prépondérante dans la clientèle.

« De nombreux voyageurs de la nouvelle génération préfèrent ne pas séjourner dans un établissement de luxe “classique” ; ils veulent quelque chose de plus chaleureux, de plus personnel et de plus amusant. Cela a ouvert un marché du “luxe abordable” semblable à ce que nous avons vu dans la vente. Parmi les marques qui tirent leur épingle du jeu, citons Hoxton, Ace Hotels, Mama Shelter, The Experimental Group et Soho House. Nos hôtels suivent également cette tendance. »

Par « nos hôtels », Frédéric désigne Les Domaines de Fontenille, une collection d’hôtels très privés qu’il construit avec son mari Guillaume Foucher. Il s’agit d’un projet personnel, sans rapport avec son travail de président de la société d’investissement Experienced Capital, basée à Paris, dont il parlera plus tard.

Après s’être fait un nom dans la vente en tant que cofondateur et co-PDG des marques de luxe abordable Sandro et Maje, qui connaissent un grand succès, pourquoi Frédéric s’est-il tourné vers l’hôtellerie ?

« Tout a commencé parce que nous voulions acheter un vignoble. Celui que nous avons choisi, dans le Luberon, était vendu avec une grande maison, que nous avons rénovée. La maison était si grande et si chère à entretenir que nous avons décidé d’en faire un hôtel, mais nous tenions à le faire exactement à notre manière. »

Le couple a respecté son engagement à la lettre, évitant les designers et les architectes afin de réaliser lui-même l’ensemble du projet, jusqu’au choix des meubles, de la plomberie et même des interrupteurs.

« Bien sûr, cela signifie que tout n’était pas parfait ; mais cela a permis de rendre l’ensemble parfaitement cohérent et d’y mettre notre âme, notre ADN », dit-il. « Et cela a fonctionné tout de suite. Les gens qui n’ont pas les mêmes goûts que nous peuvent ne pas aimer, mais beaucoup d’autres ont adoré. Aujourd’hui, 52 % de nos réservations sont effectuées par des clients réguliers. C’est un chiffre considérable dans le monde de l’hôtellerie. »

Ce taux exceptionnel de fidélité de la clientèle a stimulé la croissance de la collection d’hôtels Fontenille. Huit établissements sont désormais ouverts : six en France et deux sur Minorque, une des îles Baléares (photo ci-dessus).

« Environ 80 % de nos clients ont déjà séjourné dans deux hôtels Fontenille, et 60 % dans trois d’entre eux. Et chaque fois que nous ouvrons un établissement, nos clients habituels sont sur liste d’attente pour le découvrir », déclare Frédéric.

 

« Il y aura toujours des personnes attirées par les grands groupes. Mais aujourd’hui, nous constatons également que les jeunes souhaitent suivre leur propre voie, faire quelque chose qui leur convient et qui correspond à leurs valeurs. C’est pourquoi on constate aujourd’hui qu’ils choisissent leur premier poste au sein d’une petite marque aux fortes valeurs en matière de RSE, qu’ils se battent pour une petite entreprise de café biologique ou qu’ils créent leur propre entreprise. Et ce, même s’ils ont le talent pour faire carrière au sein de groupes comme LVMH. »

 

Frédéric Biousse

S’adapter aux nouveaux talents

Si l’émotion, la création de relations, la narration d’histoires, les expériences et d’autres facteurs constituent la nouvelle norme en matière de luxe et d’hôtellerie, quel impact cela aura-t-il sur la recherche de talents ? Et comment les employeurs peuvent-ils se rendre plus attrayants aux yeux d’une nouvelle génération qui n’est pas intéressée par l’idée de rester dans une entreprise pour y gravir les échelons ?

« Il y aura toujours des personnes attirées par les grands groupes. Mais aujourd’hui, nous constatons également que les jeunes souhaitent suivre leur propre voie, faire quelque chose qui leur convient et qui correspond à leurs valeurs », remarque Frédéric. « C’est pourquoi on constate aujourd’hui qu’ils choisissent leur premier poste au sein d’une petite marque aux fortes valeurs en matière de RSE, qu’ils se battent pour une petite entreprise de café biologique ou qu’ils créent leur propre entreprise. Et ce, même s’ils ont le talent pour faire carrière au sein de groupes comme LVMH. »

Dans le cadre de cette tendance favorisant des carrières moins structurées, Frédéric pense que les compétences plus spécialisées, qui contribuent à cloisonner les employés, seront moins valorisées et donc remplacées par une approche intuitive, fondée sur le bon sens, qui permettra aux employés de devenir plus flexibles et autonomes. Il ajoute que ces professionnels seront ainsi plus faciles à « recycler » dans d’autres établissements.

Pour Frédéric, les écoles et les universités se doivent de donner plus d’importance à l’enseignement de la réflexion.

« Beaucoup d’universités européennes se concentrent trop sur la théorie et pas assez sur la pratique. Par conséquent, les diplômés ont une façon de penser trop rigide et orientée sur le processus. Il faudrait leur enseigner davantage à interagir avec leur environnement, à être curieux et ouverts d’esprit, à apporter un peu d’émotion dans leur travail, à faire confiance à leur instinct et à prendre des risques. En fin de compte, le marché devient de plus en plus complexe ; nous devons donc travailler avec une approche “globale” et non une approche orientée sur le processus. »

Les marques de luxe internationales commencent à prendre conscience de ce problème et de la nécessité de faire correspondre leur vision à celle qui anime de plus en plus leurs employés et leurs clients. Ainsi, Kering a récemment annoncé que ses futures collections seraient exemptes de fourrure animale.

Ailleurs, la marque employeur se focalise de plus en plus sur la vente de projets plutôt que de carrières. « Le message est passé de “venez et restez 20 ans chez nous” à “venez, amusez-vous et aimez ce que vous faites”. Les marques confient également davantage de pouvoir décisionnel aux niveaux inférieurs de l’organigramme, afin de donner aux employés la liberté de tenter des choses et de prendre de nouvelles initiatives », explique Frédéric.

Les Bords de Mer Hôtel, Marseille

L’expertise par l’expérience

Bien que l’hôtellerie soit devenue sa passion personnelle, le travail de Frédéric consiste à investir des capitaux avec une dimension opérationnelle, en se focalisant toujours sur le secteur du luxe abordable dans lequel il a bâti sa réputation.

« Chez Experienced Capital, nous sommes des investisseurs actifs et opérationnels, qui veulent travailler avec des marques prêtes à dynamiser leur croissance », explique-t-il. « Notre USP consiste à dire que nous connaissons le terrain et que nous avons déjà fait deux ou trois fois ce qu’on nous demande. Ainsi, nous connaissons les difficultés auxquelles les marques sont confrontées lors de leur développement. De plus, nous avons tiré les leçons de toutes les erreurs que nous avons commises dans le cadre de nos propres activités, afin que les entreprises dans lesquelles nous investissons n’aient pas à commettre ces mêmes erreurs.

« Nous savons ce que c’est que de changer de système informatique parce que l’ancien est devenu obsolète. Nous savons comment gérer le surstock dont vous ne savez plus quoi faire. Nous savons comment ouvrir un établissement dans un nouveau pays, et quels sont les pièges à éviter. Nous savons ce qu’il faut faire en matière d’image, de positionnement de marque, de médias sociaux, de prix, de ventes, de marketing… Et j’en passe. »

Peu après cet entretien, Experienced Capital a réalisé sa première sortie d’investissement, avec la marque de lunettes de luxe abordable Jimmy Fairly. Après avoir pris part au capital de l’entreprise en 2017, Frédéric nous révèle que la valeur de celle-ci est désormais six fois supérieure à ce qu’elle était à l’époque ; un rendement exceptionnel à tous égards et qui, reconnaît-il, a ravi les créateurs Antonin Chartier et Sacha Bostoni.

« Jimmy Fairly est un bel exemple de réussite, qui montre ce que l’on peut réaliser avec une bonne marque, de bons produits et avec une histoire authentique qui n’est pas seulement un concept marketing. Dans toutes les marques que nous avons gérées, nous avons travaillé sur l’aspect émotionnel. Nous ne voulons pas être le plus grand ou le meilleur ; nous voulons simplement être votre meilleur ami.

« Voilà ce que nous voulons dire lorsque nous parlons de “l’émotion avant la consommation”. Ce n’est pas une question d’argent, mais de lien que vous créez et qui est pérenne, même si la consommation ne suit pas toujours. Les marques qui s’imposeront seront celles qui prônent une véritable équité et qui donnent un sens authentique à ce qu’elles font. »

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