Promouvoir la culture et créer du sens : entretien avec Cyril Aouizerate

Cofondateur de Mama Shelter, pionnier du véganisme, penseur, philosophe et cerveau derrière le MOB Hotel, un établissement branché à l’approvisionnement 100 % biologique. Cyril Aouizerate est un véritable polymathe. The Insider l’a rencontré le temps d’une conversation enrichissante.

Ouvrir sa porte et accueillir l’autre

« Quand j’étais petit, ma grand-mère m’a transmis tout ce qu’il fallait pour comprendre le véritable sens de l’hospitalité », explique-t-il.
« Tous les vendredis, elle organisait un dîner de famille dans son appartement de deux pièces. Il y avait environ 50 personnes ; chaque vendredi, j’étais fasciné par la manière dont elle parvenait, avec peu d’argent, à préparer un festin extraordinaire. Elle enlevait même les portes de l’appartement pour en faire des tables. Elle était si heureuse de voir sa famille présente tous les vendredis, avec nous, les enfants, assis au milieu. Ça fait penser à Abraham qui a ouvert sa tente aux trois étrangers. Pour moi, c’est là le véritable but de l’hôtellerie ; prouver par votre hospitalité que vous et un étranger faites tous les deux parties de l’humanité. »

Ouvrir ses portes, créer la rencontre et accueillir « l’autre ». Les souvenirs poignants de Cyril traduisent l’essence de l’hôtellerie. Ses paroles inspirantes, sa vision singulière du secteur hôtelier. À rebours de toutes les tendances, son rapport à l’industrie hôtelière est avant-gardiste car ancré dans la tradition.

La dernière création de Cyril est le MOB Hotel, un concept hôtelier original où s’exprime l’ensemble de ses passions : la philosophie, le militantisme, la culture, le véganisme et l’engagement envers la production biologique.

Il possède actuellement deux hôtels en France : le premier a ouvert ses portes à Saint-Ouen, en banlieue parisienne, à deux pas du plus grand marché aux puces d’Europe, et le second à Lyon, la deuxième plus grande ville de l’Hexagone.

Si Cyril est un militant convaincu, il convient de préciser que le nom MOB (« foule » en anglais) n’évoque pas les manifestations. Ce nom vient en fait de Maimonide of Brooklyn, le restaurant végétalien révolutionnaire qu’il a ouvert à New York en 2011 avec Alain Senderens, le célèbre chef trois étoiles au Guide Michelin, décédé en 2017. Un restaurant qui doit son nom au philosophe juif médiéval Maïmonide, fervent défenseur des régimes alimentaires à base de plantes.

Promouvoir l’agriculture biologique

Une aventure entrepreneuriale et gustative qui lui aura permis de découvrir le potentiel des produits biologiques d’origine locale, une philosophie qui a atteint son paroxysme avec le MOB Hotel.

« J’ai été stupéfait de découvrir qu’à 45 minutes de New York se trouvaient de petites exploitations agricoles biologiques où l’on pouvait acheter des champignons frais, des asperges, des salades, etc. Et donc, grâce au restaurant MOB, nous avons pu proposer à ces agriculteurs une plateforme où ils pouvaient venir vendre leurs produits directement aux gens. »

Au MOB Hotel de Saint-Ouen, ce principe est allé encore plus loin : Cyril a créé un partenariat avec 40 familles voisines, qui cultivent, dans leur potager, une partie des aliments qui sont servis dans l’hôtel.

Outre ces produits ultra-locaux, le MOB Hotel a également passé une cinquantaine de contrats avec des fermes coopératives biologiques, et les établissements eux-mêmes utilisent des produits de nettoyage entièrement biologiques. Cette démarche a permis à MOB de devenir la seule entreprise hôtelière en Europe à bénéficier du label « AB-Agriculture Biologique ».

« Cette organisation a été super complexe pour nous ; ça nous a demandé près de trois ans de travail », déclare-t-il. « Mais compte tenu de mon propre engagement militant dans ce domaine, je me suis donné à fond, car je voulais que nos clients voient que leur hôtel peut adopter cette démarche aussi sérieusement qu’ils le font pour eux-mêmes. Nous apportons le même soin aux aliments proposés que celui qu’ils accordent aux aliments qu’ils servent à leur famille, chez eux. »

« Je pense qu’il est urgent de créer un lieu où la culture, les livres, la philosophie, la poésie, soient au centre de nos préoccupations. Nous ne pouvons pas créer un projet comme si nous étions seuls au monde ; nous sommes en phase avec la réalité et nous nous devons, en tant qu’entrepreneurs, de le montrer. »

Cyril Aouizerate

Mélange des genres

Michel Reybier, Philippe Starck et Cyril Aouizerate. Trois personnalités différentes, trois spécialités distinctes, une association détonante et une même passion de l’excellence.

« Pour moi, la rencontre avec Michel Reybier a été très intéressante car c’est quelqu’un de très traditionnel, alors que je ne le suis pas vraiment. Mais j’ai découvert qu’il est plus “punk” dans sa façon de concevoir les choses et de développer un projet. J’ai beaucoup de respect pour lui car c’est un homme très droit et, lorsque nous parlons ensemble, il respecte toutes nos décisions. Pour un entrepreneur comme moi, c’est fantastique de rencontrer ce genre de personne. »

Les cerveaux derrière MOB Hotel (de gauche à droite) : Glyn Aeppel, Cyril Aouizerate, Steve Case, Philippe Starck et Michel Reybier.

Les opposés s’attirent également en ce qui concerne Philippe Starck.

« Philippe et moi sommes très différents. Il est obsédé par la modernité, alors que je suis plutôt du genre à réfléchir à la manière de créer un lieu où l’on peut avoir une vision intellectuelle du design. Mais c’est un génie dans sa façon de créer de l’énergie dans un lieu, de penser et d’analyser en 3D. Cela fait plus de 20 ans que nous sommes amis et nous adorons travailler ensemble. »

Aux origines du Mama Shelter

Lorsque l’on évoque Cyril Aouizerate, on ne peut omettre Mama Shelter, le concept révolutionnaire qu’il a co-fondé avec l’entrepreneur Serge Trigano. Si ce chapitre est clos pour Cyril, le Mama Shelter, détenu majoritairement par Accor, est toujours en plein essor.

« Serge est venu me voir en 2013 et m’a dit qu’il voulait qu’Accor participe au développement de l’entreprise. Je n’étais pas d’accord, mais comme je l’aime et le respecte, je ne voulais pas lui mettre des bâtons dans les roues. J’ai donc vendu mes parts à Michel Reybier avant l’arrivée d’Accor. Je n’ai jamais fait une seule réunion avec eux. Je n’ai rien contre Accor, soyons clairs. Mais je suis un artisan hôtelier. Avoir une carte du monde derrière moi avec toutes mes propriétés marquées dessus ne me fait pas rêver. Ce que je veux, c’est que chacun de mes projets soit différent ; je prends mon temps, et c’est la seule raison pour laquelle je n’ai pas voulu continuer l’aventure avec Mama Shelter. Les voitures de course, les bateaux ou les appartements sur la plage, ça ne me passionne pas. Alors j’ai pris mon chèque, qui était d’un bon montant, et j’ai tout mis dans la création de MOB Hotel. »

Un développement raisonné

La prochaine étape pour le Mob Hotel ? Une deuxième propriété à Saint-Ouen, MOB House, qui étend le concept au marché de la location longue durée et qui ouvrira ses portes prochainement. La nouvelle propriété, qui se trouvera à seulement 200 mètres du MOB Hotel proposera un espace de repos et de travail pour le prix d’une chambre d’hôtel. Conçue par Philippe Starck, elle disposera de 4 000 m² de jardins et d’une piscine de 25 mètres de long.

Le concept MOB s’exportera ensuite à Florence, en Italie, avec Villa MOB, puis aux États-Unis, à Washington et à New York. Cyril révèle également qu’il souhaite développer son activité aux Pays-Bas et en Scandinavie, où il pense que l’histoire de la marque sera particulièrement bien accueillie.

« Je suis convaincu qu’en tant qu’entrepreneur, et en particulier dans le monde de l’hôtellerie, vous devez créer un lieu où les gens se sentent bien. Mais vous devez également être en phase avec la réalité de notre civilisation. Pour moi, le temps des hôtels-boutiques, avec ce beau monde, tout cet argent, ce monde de dandys, c’est terminé. Il est urgent de créer un lieu où la culture, les livres, la philosophie et la poésie, soient au centre de nos préoccupations. Nous ne pouvons pas créer un projet comme si nous étions seuls au monde ; nous sommes en phase avec la réalité et nous nous devons, en tant qu’entrepreneurs, de le montrer. Je conseille aux jeunes entrepreneurs d’être écologistes, philosophes et poètes lorsqu’ils décident de se lancer dans les affaires, et d’analyser de façon très complexe ce qu’ils vont faire et pourquoi. Il faut que votre entreprise ait un but précis. »

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